Réhabilitation du Centre ancien : quand les archéologues s’en mêlent

Parmi les acteurs qui contribuent au succès de l’opération Rennes Centre ancien, il y a la DRAC — et plus précisément l’Unité départementale de l’architecture et du patrimoine ainsi que le Service régional de l’archéologie — et l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP). Qui sont-ils, quels sont leurs métiers et pourquoi travaillent-ils avec nous ? Les principaux intéressés répondent à nos questions — et aux vôtres.

Si les constructions du centre ancien ont une histoire, Elen Esnault et Paul-André Besombes peuvent nous la raconter à la lueur de leurs recherches. L’une est archéologue spécialiste du bâti à l’INRAP, l’autre est conservateur chargé de la gestion de Rennes Métropole au sein de la DRAC. Tous deux prennent la parole pour faire la lumière sur leur périmètre d’intervention dans cette mission que nous accomplissons main dans la main.

De la DRAC à l’INRAP en passant par Rennes Centre ancien

Le projet de réhabilitation du centre historique rennais s’articule en étoile. Au cœur de celui-ci, on retrouve bien entendu Territoires publics (nous !). Nous avons aussi la chance de pouvoir compter sur la collaboration de la DRAC. Sollicitée par la Ville de Rennes, elle participe au suivi de toutes les opérations de réhabilitation des édifices inscrits dans le cadre de l’OPAH-RU. Paul-André Besombes détaille : « Nous avons souhaité être associés à ce projet pour prescrire des diagnostics de bâtiments possiblement sujets à la fouille. Une décision motivée par le caractère patrimonial indéniable du centre-ville de Rennes ».

À travers ces diagnostics, la DRAC souhaite préserver au maximum les informations disponibles sur le terrain (époque(s) et modes de construction, vestiges…), et accompagner les travaux autant que possible. Paul-André Besombes explicite : « À l’issue de visites effectuées avec les architectes des Bâtiments de France, nous sélectionnons les constructions les plus anciennes et les plus complexes — qui ont connu différentes phases de construction —, pour lesquelles nous manifestons notre intérêt auprès de l’équipe de Rennes Centre ancien. Le diagnostic est alors formalisé, et c’est à ce moment-là que l’INRAP peut être amené à réaliser une opération d’archéologie du bâti, et plus précisément une étude d’élévation. Cette analyse permet de reconstituer l’évolution des immeubles et d’évaluer leurs différentes utilisations et transformations. Nous avons déjà fait réaliser plusieurs études de ce type, mais elles ont surtout concerné des édifices collectifs. Aujourd’hui, dans un souci d’équilibre et dans le cadre du PSMV, nous souhaitons axer notre diagnostic sur le bâti civil, occupé par des particuliers ».

Les enjeux de l’étude archéologique

C’est en suivant ce cheminement que l’INRAP a été sollicité pour le diagnostic de deux immeubles situés au 8 rue Saint-Yves et aux 25-27 rue de Penhoët. Pourquoi ces adresses en particulier ? Elen Esnault raconte : « Lorsqu’il reçoit un permis de construire ou de démolir, la DRAC analyse l’intérêt du site concerné ainsi que les menaces qui guettent l’intervention envisagée (démolition, altération des vestiges…). Les bâtiments de la rue Saint-Yves et de la rue de Penhoët ont été évalués, et il en est ressorti qu’ils avaient été érigés en respectant des modes constructifs spécifiques ». Des modes constructifs qui ne demandent qu’à être explorés puis documentés et archivés, pour que les prochaines générations puissent comprendre et suivre leur évolution.

Elen Esnault, archéologue spécialiste du bâti à l’INRAP

Charge à l’INRAP, donc, de prouver la présence d’éléments représentatifs de leur époque dans ces deux immeubles. Pour cela, explique Elen Esnault, l’équipe procédera à un diagnostic archéologique de l’ossature mais également des espaces extérieurs (fonds de cour, façades…). « Les structures principales (porteuses) seront analysées pour valider s’il n’y a eu qu’une seule ou plusieurs étapes de construction. Ensuite, nous pourrons dater les bois grâce à la dendrochronologie ». Une mission qui implique des archéologues chevronnés, ainsi que des historiens et plusieurs autres spécialistes, selon la complexité du chantier.

Des interventions selon l’ampleur de la réhabilitation et l’intérêt de l’édifice

Pour l’instant, peu d’immeubles destinés à l’habitation ont fait l’objet d’une étude d’élévation. D’ailleurs, Elen Esnault remarque que l’archéologie du bâti est une discipline récente, qui se met en œuvre petit à petit. « Si, auparavant, les études de sites étaient effectuées par des architectes, on prend progressivement conscience du fait que le rôle des archéologues est complémentaire. Car ils sont en mesure de préciser plus finement les différentes phases de travaux, et même de les dater », énumère la spécialiste.

Toutefois, aujourd’hui encore, leur expertise n’est sollicitée que pour les bâtisses présentant un intérêt d’un point de vue patrimonial. Au 8 rue Saint-Yves, il s’agit d’un immeuble construit au début du XVIe siècle, dont les peintures murales ont été conservées et sont toujours en place. Aux 25-27 rue de Penhoët, l’intervention s’inscrit dans des procédures très lourdes. En effet, la DRAC avait initialement été sollicitée dans le cadre d’une déclaration d’utilité publique. Elle a donc adapté ses prescriptions aux spécificités de chacun de ces deux édifices, et les diagnostics permettront d’identifier leur vocation (habitation, commerce, industrie…) avec précision, sans entraver les efforts déjà fournis par différents corps de métiers.

Des procédures très lourdes attendues aux 25-27 rue de Penhoët

Des actions menées dans l’intérêt collectif

Elen Esnault le rappelle également : le but de ces fouilles est de valoriser le patrimoine de la ville auprès des habitants et des visiteurs de passage. Sans pour autant dénaturer ni fragiliser les espaces sur lesquels nous intervenons, il importe en effet d’en prendre soin, et de les préserver tout en les améliorant. Et ce, pour les transmettre aux générations futures avec toujours autant de fierté et d’émerveillement !

L’humidité, l’autre mal des bâtiments du Centre ancien

À force de modifications et à défaut d’entretien, nombreux sont les bâtiments du centre ancien de Rennes à pâtir de l’humidité. Infiltrations, inondations, fragilisation des fondations, pourrissement du bois, apparition de champignons… Autant de pathologies à surveiller avec la plus grande attention et à éradiquer. État des lieux.

Si les immeubles à pans de bois nous renvoient sans cesse à la question de la sécurité incendie, celle de l’eau n’est jamais très loin. En effet, ces bâtisses craignent le feu autant que l’humidité. C’est pourquoi l’une de nos missions est de nous assurer qu’elles en soient protégées.

Les défauts initiaux

Manque d’entretien, interventions inappropriées, méconnaissance de l’architecture et de l’évolution des bâtiments dans leur environnement… Autant de lacunes que nous déplorons au fil de nos découvertes dans le centre historique rennais. Toutefois, il faut reconnaître que la stabilité de certaines bâtisses a toujours été incertaine, due à la fragilité des matériaux utilisés lors de la construction.

En outre, certains des bois mis en oeuvre sont de qualité secondaire et ont été enduits afin d’être protégés de l’eau de pluie. Des enduits pas toujours adaptés, notamment en façade, qui ont conduit à une rétention de l’humidité dans les structures et les maçonneries.

Structure de l'immeuble exposée à l'humidité
Des maçonneries directement exposées à l’humidité.

De même, les planchers bas des rez-de-chaussée, construits à hauteur de rue, subissent le ruissellement des eaux pluviales et sont sujets à des infiltrations. Aussi, lorsque les réseaux d’évacuation ne sont pas entretenus ou sont défectueux, les caves sont également inondées et les fondations s’en trouvent fragilisées.

Les couvertures ne sont pas en reste. Certaines ont été modifiées après leur construction : les toitures des maisons à pignons sur rue, par exemple, ont été altérées et, accessoirement, fragilisées. Cela a eu pour conséquence de les rendre particulièrement vulnérables vis-à-vis de l’humidité : pénétration de l’eau dans les combles et les structures, dégâts des eaux…

Des travaux inappropriés

Si les techniques de construction ont évolué, elles ne sont pas toujours adaptées aux immeubles du Centre ancien. En effet, certaines transformations partaient d’une bonne intention, mais elles n’ont pas toujours été réalisées dans le respect des matériaux, de la capacité et de la configuration initiale des bâtiments.

Avec l’arrivée des normes de confort moderne, des réseaux et des pièces d’eau (cuisine, salle de bain, WC) ont été aménagés dans les habitations qui, à l’origine, n’en étaient pas dotées. Lors de ces travaux, la structure des immeubles a parfois été relayée au second plan : on a notamment oublié que le bois ne supportait pas d’être recouvert de matériaux qui favorisent son pourrissement. C’est le cas avec le béton, le lino et les autres revêtements étanches.

Création de salle d'eau
La création de salles d’eau a contribué à fragiliser les structures.

Aussi, les évacuations d’eaux usées défectueuses et les réseaux d’eau, recouverts d’une chape de béton ou de carrelage, ont été rendus inaccessibles et invisibles. Il est souvent trop tard lorsqu’on détecte une fuite : elle a déjà dégradé l’ensemble du plancher en bois.

Ce problème de pourrissement des bois apparaît également lorsqu’on enduit les façades de ciment. Un matériau qui empêche la bonne aération des pans de bois, et retient l’humidité produite par l’activité humaine à l’intérieur des logements.

Enfin, l’eau de pluie peut s’infiltrer dans les bâtiments, fragilisant leur structure. Les points d’entrée peuvent être divers : appuis de fenêtre défectueux, couvertures fuyardes, chenaux encombrés de feuilles, descentes d’eau mal raccordées… Tous conduisent à un risque de pourrissement des bois.

Les dommages collatéraux

Toutes ces expositions à l’humidité entraînent des désordres structurels. Parmi les désagréments engendrés, on peut notamment mentionner :

  • l’apparition de champignons sur les menuiseries et les boiseries, surtout dans les espaces sombres et mal ventilés comme les caves,
  • la prolifération d’insectes lignivores (qui se nourrissent des bois humides),
  • les infiltrations dans les chapes de béton et dans les murs, pouvant causer un risque d’incendie si l’eau atteint les circuits électriques,
  • la dégradation des pieds de poteaux en bois et des fondations qui assurent le maintien des immeubles.

Des défauts qui mettent en péril l’équilibre des bâtiments — l’eau s’attaque aux éléments porteurs — auxquels il faut remédier. Le tout, en tenant compte des nouveaux impératifs et des normes d’habitabilité actuelles.

Les besoins de ces bâtiments

Il est donc urgent de réagir, de comprendre l’environnement dans lequel ces édifices ont été construits, et de les remodeler dans leur ensemble afin qu’ils soient :

  • adaptés à leur époque,
  • conformes aux normes d’habitabilité et de salubrité,
  • sécurisés face aux risques d’incendie,
  • protégés contre l’humidité grâce à des dispositifs d’aération et des matériaux adaptés en façade.

Tout cela dans le respect du Plan Local d’Urbanisme de la ville de Rennes — et du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV). Car les bâtiments qui trônent fièrement au coeur de la capitale bretonne depuis plusieurs siècles ont tout intérêt à être préservés. Et ce, d’autant plus que les immeubles concernés par la deuxième opération de rénovation du Centre ancien abritent quelque 1 000 logements à réhabiliter !